Que ce soit au niveau du gameplay, de la narration ou des personnages, Nier est un jeu expérimental qui ose mettre en avant des choses nouvelles, peu habituelles. Je ne vais pas ici en faire le test, mais seulement m'attacher à un aspect du jeu qui m'a paru intéressant, même s'il est un peu dommage que les développeurs ne l'ait pas plus approfondi.
La ville de Façade est caractéristique de par ses habitants, qui ont su mettre en place à travers les générations un vaste système de lois. Aucun habitant ne remet en cause ces lois et chacun s'évertue à les respecter, même si certaines d'entre elles sont vraiment stupides (interdiction de prononcer certains mots à certaines personnes dans certaines circonstances...) - mais après tout, ils peuvent s'autoriser ce genre de fantaisie qui est plus pénible qu'autre chose, étant donné que l'ensemble du peuple est rationnel et agit comme tel. En réalité, il ne manque que la "Loi 0" proposée par Nier pour que Façade ne devienne pas sclérosée : si une loi est trop absurde ou trop contraignante, la Loi 0 autorise de la changer par un vote démocratique. Ce qui poursuit la singularité de
Façade par rapport aux autres peuples du monde de Nier (puisque le
"peuple masqué" est aussi le seul à parler une langue commune qu'à
eux-même).
Il est tentant de rapprocher cette société extrême dans son fonctionnement à nos propres sociétés modernes : On pourrait n'y voir qu'un réseau de contraintes et de conditionnements oppressants. Vivre en communauté serait alors liberticide - donc pour vivre en elle, il faudrait y sacrifier une part de notre individualité. On le voit, les habitants de Façade, surnommés "le peuple masqué", portent tous des masques. Les guerriers ont un masque plus ronds, les habitants normaux plutôt de forme triangulaire... mais au premier coup d'oeil, impossible de les différencier : chacun à renoncer à sa propre personne dans le but de pouvoir vivre ensemble. Remarquons aussi que les étrangers ne sont pas invités dans cette ville, car ils ne sont pas masqués - à moins que cet individu extérieur ait oeuvré pour le bien de Façade (ce qui est le cas de Nier et ses compagnons).
Pourtant, il est dit qu'aucun masque n'est identique, et que tous comportent une infime différence qui le démarque des autres. Ce qui donne à réfléchir : le terme même d'individualisme n'aurait-il pas eu de raison d'être en-dehors de la société? Il semblerait donc que la liberté ne soit réellement pensable qu'en société, ou tout du moins une certaine forme de liberté.
En effet, vivre avec les autres n'est pas forcément agréable. Ce serait ce mouvement de balancier entre agréments et désagréments de la vie en communauté qui pousserait les hommes à se surpasser, qui les rendrait libres et feraient d'eux des individus à part entière : grâce à la confrontation avec les autres, à cet antagonisme constant, la société nous pousse donc à nous définir, à devenir nous-même. L'homme à un penchant à s'associer afin de développer ses facultés, mais il souhaite ausi devenir le chef, être plus fort que son voisin. Au final, l'inconfortabilité de la société nous empêche de vivre comme des moutons, comme nous le ferions en temps de paix et d'harmonie. Je rappelle à cet effet que le peuple de Façade mène une guerre rude contre des meutes de loups.
Mais je trouve que c'est une vision un peu pessimiste de l'homme, vous ne trouvez pas? Heureusement on peut avancer une autre théorie : Si l'on nous dit le mot "liberté", quelle image a-t-on dans la tête? Personnellement, j'ai l'image d'un homme qui court dans la forêt. Il fait ce qu'il veut quand il en a envie. Hormis les contraintes naturelles, aucun obstacle ne se dresse à ses volontés. Mais peut-on pour autant dire qu'il est libre? La liberté, ce n'est pas tant l'absence de contraintes que l'état d'une personne qui serait indépendante. La vérité, c'est que cet homme sauvage n'est pas libre - il est soumis, à ses pulsions, à ses envies, au moindre courant d'air. C'est un être incontrôlable qui ne sait pas lui-même ce qu'il va faire dans quelques heures : ce n'est pas lui qui décide, ce sont ses instincts. Tandis que l'homme qui vit en société obéit, lui, à la raison. Il est capable de se fixer des objectifs, de s'y tenir et de les accomplir. Au final, il en ressort grandit, il s'accomplit alors que l'homme sauvage continue de tourner en rond.
Nous pouvons donc conclure qu'à première vue, la liste de lois de Façade, incroyablement complexe, est à l'image de la ville, très labyrinthique. Mais ce n'est qu'une première opinion. Car en foillant un peu plus en profondeur, on se rend compte que tout est structuré, bien calculé (les plus riches vivent au-dessus, système de batelier des sables qui ralie différents points de la ville, symétrie parfaite de l'architecture...), et que cette vie en profond respect des lois est, au fond, un mal nécessaire. Même masqués par la société, les habitants ont su conserver leur individualité, et finalement, leur liberté. Cette liberté est simplement différente de celle dont on a l'habitude de s'imaginer : elle magnifie les individus, les pousse à se démarquer, à faire des choix et à les assumer, en même temps qu'elle permet la vie en communauté. Et c'est sans doute ainsi que Façade a pu prospérer dans un environnement aussi hostile que le désert, loin du reste du monde, entre une infernale tempête de sable et des meutes de loups voraces prêts à saccager la première construction humaine. Et le roi avait bien raison : "Les lois n'ont pas été faites dans le but de contraindre, mais de révéler la liberté."